Quel est ce mot un peu étrange, source d’inspiration de ce billet ? Pour le découvrir, nous allons suivre la racine de quelques mots et voir où ils nous mèneront.
J’ai déjà mentionné avoir fait le pèlerinage du chemin de Compostelle durant l’été 2018. Ce pèlerinage, je l’avais entrepris pour me retrouver et pour décider de la suite de ma vie. Je souhaitais consacrer plus de temps à mes projets personnels et moins de temps au travail qui m’accaparait beaucoup.
Quoi de mieux que marcher pour occuper le corps pendant qu’on laisse l’esprit examiner ces questions ? Le pèlerinage s’est avéré pour moi être la bonne méthode pour entreprendre cette démarche.
Tout ce qui s’appelle développement personnel se rattache souvent au symbole du chemin. On fait un cheminement, on entreprend une démarche, on avance vers des réponses. La façon de procéder, c’est-à-dire la méthode utilisée pour atteindre un objectif est aussi en lien avec le chemin. Le mot méthode dérive du grec methodos qui signifie la poursuite ou la recherche d’une voie pour réaliser quelque chose. Le mot est formé du préfixe meta, qui signifie après, qui suit et de hodos qui veut dire chemin, voie, moyen.
Lorsqu’on décide de partir sur notre chemin, nous partons en exil d’une certaine façon. L’exil c’est un lieu que l’on quitte pour marcher en avant. Ce point que l’on quitte, c’est un départ. Prendre le départ, c’est séparer en parties. C’est laisser derrière soi une partie de soi-même, s’en départir, afin de se diriger vers le devenir, une partie qui s’annonce mais qui n’est pas là encore.
Le chemin du retour vers notre essence, vers notre vrai centre, n’est pas clairement défini; chaque personne progresse selon un rythme qui lui est propre et une trajectoire qui s’ajuste avec ce qu’elle découvre en chemin. Vu sous cette perspective, le chemin est vécu comme une aventure qui nous fait aller ça et là. Aller ça et là, c’est errer, c’est vagabonder.
Vagabonder a comme racine le mot latin vagus qui signifie ce qui n’est pas clairement défini, ce qui a une forme qu’on identifie mal. Le mot vague est de la même famille. Ce qui est vague c’est ce qui est ressenti mais dont on ne peut identifier avec certitude la nature ou l’origine. C’est ce qui manque de précision, qui prête à diverses interprétations, qui laisse place au doute.
La racine du mot vagus comporte un embranchement qui sépare son sens en deux. Suivre chaque côté de cet embranchement, c’est suivre notre propre chemin; remonter cet embranchement nous permet de mieux comprendre ce qu’on découvre durant la progression sur ce chemin.
Après avoir parcouru la première section de la racine du mot vagus qui correspond à une chose qui n’est pas clairement définie, nous rencontrons un embranchement qui est le départ de deux branches; la première branche se rapporte au mot vacuus qui signifie être vide, être libre, avoir du temps pour. Les mots vacances, évacuer, vacuum et vacuité proviennent de cette racine. La seconde branche que nous retrouvons est celle dérivée de la base indo-européenne webh qui signifie se mouvoir en va-et-vient. Se mouvoir en va-et-vient, c’est vivre en réciprocité.
La réponse aux questions que nous nous posons se retrouve donc dans la façon dont nous progressons. D’abord une remise en question qui nous fait entreprendre un cheminement. Puis nous découvrons que pour trouver les réponses que nous cherchons, nous devons changer la qualité de notre regard et être attentif à toutes nos sensations. Être attentif à ces sensations c’est être à l’écoute, c’est être conscient et pouvoir accueillir les réponses qui nous sont données.
Pour être attentif, pour pouvoir accueillir en nous ce qui se présente, il faut créer de l’espace, il faut créer une ouverture et faire le vide en nous. Paradoxalement, ce vide devient un espace riche en possibles; il permet à la vie de nous combler.
Accueillir, c’est aller vers, c’est saisir ce qui se présente, c’est récolter, réunir et rassembler. Le mot accueillir a comme racine le latin ad qui indique la direction vers soi et colligere qui signifie réunir, rassembler.
Bref accueillir permet de relier.
Plus profondément j’explore mes racines, plus souvent ce mot revient. Plus je m’approche de mon vrai centre, plus l’écho de mes origines se révèle dans l’écho du mot relier.
Depuis que je suis revenu de mon pèlerinage sur le chemin de Compostelle, j’ai le goût de répéter et de renouer avec cette expérience. J’ai quitté le chemin mais le chemin lui ne m’a pas quitté. Je continue à marcher de longues distances régulièrement. Depuis plusieurs mois, je considère la possibilité de faire le pèlerinage de l’île de Shikoku. Située au Japon, cette île renferme un parcours fait à l’origine par des moines et qui consiste à relier à la marche 88 temples bouddhistes et lieux sacrés. D’une durée variant de quarante à soixante jours, il se fait en partie en terrain montagneux.
Shikoku veut dire les quatre pays (Shi-koku) et réfère symboliquement aux quatre étapes importantes du développement personnel; l’éveil, la pratique de l’ascèse, l’illumination et le nirvana. Le circuit du pèlerinage se fait en boucle; la destination correspond à un retour à l’origine.
Le mot relier apparaît de nouveau dans ce projet de pèlerinage. Le pèlerin qui s’engage sur ce long parcours de 1200 km est appelé un henro. Ce terme désigne également le chemin lui-même; le pèlerin et le chemin ne font donc qu’un. En lisant un livre sur ce pèlerinage, Le Pèlerinage des 88 temples – sur les chemins sacrés du Japon, l’auteure Ariane Wilson indique que le mot henro signifie également la route qui relie.
Je ne sais pas si je ferai ce pèlerinage un jour ou si j’opterai plutôt pour un autre. Ce que je sais en revanche, c’est que le mot relier revient de plus en plus souvent au fur et à mesure que je progresse sur mon chemin. Comme pour m’indiquer qu’il fait partie de mon histoire, de cette histoire que je suis à découvrir, de cette histoire qui m’inspire.