Le philosophe grec Empédocle vécu cinq siècles avant notre ère. Qualifié d’excentrique, Empédocle était à la fois philosophe, poète et médecin. Ses écrits sont peu nombreux et prennent la forme de poèmes. Certains sont incomplets. La légende veut qu’il aurait choisi de devenir immortel en se jetant dans le feu du volcan Etna. On aurait retrouvé ses sandales sur l’arête du volcan.
L’héritage qu’il nous a laissé est l’énoncé d’un principe qui regroupe deux forces; l’amour et la haine. Selon Empédocle, l’amour et la haine règnent sur l’univers, passant de l’un à l’autre par cycles. Pour lui, l’amour est une force unificatrice qui essaie de ramener la cohérence dans l’Univers en reliant toutes ses parties dans l’Un. À l’opposé, la haine est une force qui divise, qui sépare et fait apparaître la multitude. Même si cette vision semble radicale, les concepts qu’elle développe ensuite sont intéressants.
De ces deux principes, Empédocle va faire jaillir quatre racines. Ces racines vont se conjuguer pour composer tout ce qu’on retrouve dans l’univers. Les philosophes grecs qui succéderont à Empédocle, dont Aristote, parleront de ces quatre racines comme étant les quatre éléments. Du latin elementum, l’élément est un principe, une force constitutive de l’être. C’est une force qui le fait grandir et qui l’élève pour le ramener ensuite à son origine, à son commencement. Le mot élément réfère aussi à un milieu propice, à un milieu qui correspond presque parfaitement aux besoins de cet être.
Dans la philosophie d’Empédocle, ces quatre éléments sont le feu, l’air, la terre et l’eau.
L’élément eau est un milieu fluide qui s’adapte à ce qui l’entoure et qui enveloppe. L’eau représente le milieu à l’origine de la vie. Bien que nous ayons depuis quitté ce milieu, il est toujours en nous. L’eau constitue plus de 99% du contenu de nos cellules. Nos artères et nos veines sont des fleuves et leurs multiples embranchements sont des rivières et des ruisseaux qui coulent en nous. L’eau transporte la vie. C’est un milieu qui vibre.
L’élément terre constitue un milieu solide qui représente l’endroit où nous grandissons. C’est le carbone de notre corps. C’est l’endroit où existent ces racines qui représentent le legs de tous nos ancêtres et auxquelles nous devons nous ancrer pour les faire avancer. La terre est une mère nourricière. C’est un lieu de substance et de potentiel. C’est l’endroit où nous sommes semés et où nous germons. C’est un milieu empreint d’humilité.
L’élément air constitue un milieu aérien qui représente le changement à travers l’expérience et la création. L’air contient le vent du changement. C’est un milieu qui inspire et qui transforme.
L’élément feu est cette énergie qui rend tout possible. Le feu nourrit l’action qui transforme le possible en accomplissement. L’action est ce passeur qui nous fait franchir la frontière du possible. Le feu est une énergie primordiale qui alimente tout. Le feu est ce qui nous nourrit, nous anime et nous attire.
Le mot éléments, c’est aussi les rudiments d’un langage. Dans la philosophie d’Empédocle, ce sont les quatre lettres d’un alphabet qui expriment une histoire; celle du développement et de l’évolution de l’univers. Mais derrière ces histoires se cache une cinquième force qui en gère la conduite. C’est le philosophe grec Aristote qui en fera l’ajout; il ajoutera un cinquième élément qui deviendra la quintessence. Pour Aristote, la quintessence est une essence pure d’où naît le mouvement et d’où l’âme émerge; c’est la substance qui forme les étoiles. Étant fils et filles d’étoiles, nous avons tous en nous cette substance pure sous la forme d’une source divine intarissable.
La quintessence représente aussi l’espace vu comme l’endroit qui accueille les choses et les possibles. C’est l’espace où nous vivons, c’est une communauté de liens; c’est notre village. Créer de l’espace en soi, c’est donc créer de l’espace pour notre village, c’est accueillir les possibles qui le font naître. Créer de l’espace en soi pour accueillir, c’est bâtir notre village.
La quintessence représente aussi cette force qui assure la cohérence entre les quatre éléments. C’est cette force qui cherche à réunir la multitude pour reformer l’Un qui est à son origine. Cette force qui cherche à relier, comme Empédocle, j’aime penser que c’est l’amour qui construit l’univers. Un amour qui doit lutter constamment contre son opposé, la haine qui cherche à séparer et à dégrader.
Cette haine est souvent un regard mal dirigé. C’est une indifférence face aux torts que nous causons et souvent un manque de lucidité face aux choix que nous faisons. C’est voir la nature comme une ressource que nous pouvons piller plutôt que comme une extension de nous que nous devons respecter et honorer.
La nature est essentielle à notre survie; c’est seulement quand nous sommes inspirés que nous vivons réellement. Pour cela, l’élément air s’avère essentiel. Environ la moitié de l’oxygène que nous inspirons provient de la photosynthèse produite par le phytoplancton des océans. L’autre moitié provient des forêts. On considère qu’il suffit de deux arbres matures pour fournir l’oxygène nécessaire à une famille de quatre personnes. Par la pollution des océans et la déforestation, nous supprimons ces sources d’oxygène; nous nous séparons ainsi de ce qui nous fait vivre.
L’amour est ce cinquième élément qui nous appelle. C’est cette force dans l’univers qui cherche la cohérence, qui cherche à nous relier. Elle s’exprime dans la création, par la beauté, la bienveillance, la compassion, l’amitié et l’authenticité. Ce n’est pas une force qu’on possède mais une force qui s’exprime. Du latin exprimo, exprimer veut dire presser hors de soi. Aimer, c’est exprimer cette essence issue de la source divine en nous. Aimer ce n’est pas demander; c’est offrir. C’est une action qui cherche à combler les autres et non pas à capturer. C’est briller d’une lumière particulière qui libère et qui réconforte. C’est un choix que nous avons à tout instant entre relier et séparer. Relier en retrouvant d’abord nos racines et le legs de nos ancêtres. Relier en cherchant à comprendre d’où nous venons, qui nous sommes et où nous nous dirigeons. Relier en faisant ensuite le choix d’emprunter notre propre chemin plutôt que les sentiers battus. Ce chemin est difficile car il demande d’abord de nous mettre à nu en nous débarrassant de notre armure; nous devons faire le choix de marcher léger et d’avoir foi dans l’avenir plutôt que d’essayer de le contrôler. Par l’amour, l’univers nous appelle et nous écoute pour qu’à travers les éléments d’une vie nous lui racontions notre histoire.
Les quatre éléments d’Empédocle sont à l’image de notre évolution. Ils illustrent notre histoire. Originellement issu du milieu marin, l’évolution a dirigé l’être humain vers la terre pour qu’il s’y ancre et y étende ses racines. Tel un arbre, il a ensuite grimpé vers le haut pour toucher au vent et accueillir la lumière du ciel. Ce mouvement vers le haut sert à nourrir ses racines, à les étendre pour pouvoir toucher les autres et se relier. L’être humain cherche à former une constellation humaine pour mieux briller, réchauffer et nourrir. Il cherche à se relier pour bâtir son village.
Aimer est la seule façon de traverser le passage d’une vie dans la vérité. C’est la seule façon de franchir la distance. Chaque pas, chaque inspiration nous rapproche un peu plus de ce village; chaque pas incarne plus profondément en nous cet amour qui relie.
