Wanderlust

Je me suis longtemps demandé pourquoi la réponse à l’appel que je vivais s’était exprimée à travers le fait de marcher. Je sentais que la raison derrière cela n’était pas unique mais était plutôt composée d’une conjonction de besoins.

Il y a une sagesse dans les mots. Une sagesse qui a été semée par les personnes qui les ont nommés et qui leur ont donné un sens. Une sagesse qui s’est ensuite affinée à travers les expériences vécues sur une centaine de générations. Les mots se sont transformés par l’usage qu’on en a fait.

On croit que l’origine du mot marcher relève du fait de poser des marques au sol, soit d’imprimer la marque du pied. D’autres linguistes l’associent à la racine germanique marka qui signifie frontière. Le mot marque dérive de ce sens. Selon ces deux interprétations, marcher voulait donc dire à l’origine laisser une empreinte de son passage ou aller vers ou au-delà d’une frontière. Le sens du mot marcher a ensuite évolué pour prendre le sens usuel que l’on utilise maintenant; faire une promenade à pied, en posant un pied devant l’autre.

Ces deux sens expriment en partie mon besoin de marcher. Je suis maintenant dans la deuxième moitié de ma vie, celle où l’on cherche à laisser une trace de son passage. Comme discuté dans un billet précédent, c’est sans doute une façon de vouloir durer. Ce besoin de marcher exprime également un besoin de se dépasser; de voir ce qui existe outre mon horizon; de dépasser mes frontières.

C’est en cherchant la racine du mot marcher que j’ai véritablement compris l’origine de ce besoin de partir en expédition. C’est en cherchant la racine du mot marcher, que je suis tombé sur la réponse, sur cet autre mot qui l’exprime; wanderlust. Ce mot vient des romantiques allemands et exprimait une façon d’approcher et de voir le monde au 18e siècle. C’était une réponse à un appel des lointains à travers de longues randonnées dans la nature. Le mot wanderlust provient de wandern qui signifie vagabonder en allemand et de lust qui représente une envie, un désir. Ce sont les émotions ressenties devant un paysage grandiose, devant la beauté de la nature lors d’une expédition. Ces émotions sont si vives qu’elles transforment souvent notre façon d’être et de percevoir; elles changent notre regard.

C’est en cherchant plus d’information sur le mot wanderlust que je suis tombé sur un site qui le définissait et que j’ai aperçu une ligne qui a immédiatement attiré mon attention. Voici le paragraphe en question et la dernière ligne qui est celle à laquelle je m’identifie :

Le Wanderlust est aussi une vision du monde. Le voyageur parcoure les terres pour se sentir vivant, toujours en quête de liberté. Il a besoin d’expériences puissantes pour être heureux, car c’est dans l’extraordinaire et les sensations fortes que son cœur s’emballe. Il n’a pas peur de quitter sa zone de confort. Au contraire même, dans cette instabilité, lorsqu’il ne sait pas où il va exactement, il se sent comme un poisson dans l’eau. Ce qu’il recherche dans le voyage, est un dépassement de soi, une aventure intérieure, loin du farniente de la plage.

Source: https://guidewanderlust.com/signification-wanderlust/

Cette dernière phrase explique bien mon besoin de partir en expédition. D’abord pour me retrouver; puis pour me dépasser. Sortir de mes habitudes pour pouvoir entamer un long voyage intérieur, un voyage qui se poursuit depuis.

J’ai ressenti ces sensations fortes qui accompagnent le wanderlust à plusieurs endroits durant mon chemin de Compostelle. Deux endroits en Espagne me viennent à l’esprit en particulier. D’abord au sommet de l’Alto del Perdon, la Colline du Pardon, entre Pamplona et Puente la Reina. Voici ce qu’on retrouve dans mon journal du pèlerin pour cette journée :

14 juin 2018 – Jour 43 – Étape 40 – Puente la Reina

Étape très symbolique aujourd’hui. Celle de l’Alto del Perdon, l’équivalent en français de la Colline du Pardon.

Partant de Pamplona, nous parcourons quelques kilomètres qui nous ferons passer du centre de la ville à sa sortie. Ce qu’il y a de super dans le chemin de Compostelle, c’est que toutes les entrées et les sorties dans les villes traversées se font via le trajet historique. Par exemple, pour Pamplona, nous sommes passés par les remparts et la porte Française pour l’entrée dans la ville.

Pour sortir de Pamplona, le chemin est facile; il suffit de suivre les disques en métal imbriqués dans le trottoir qui contiennent le logo du chemin. On retrouve ces disques à tous les trois mètres environ; on n’a pas vu de disque depuis quelques secondes ? C’est signe qu’on a manqué un virage sur le chemin.

Après notre sortie de Pamplona, nous traversons un village puis c’est le début de la montée de la colline du Pardon. Cette colline est en réalité une montagne d’environ 600 m d’altitude. Au sommet de la montagne, on retrouve des sculptures en métal qui représentent les pèlerins des différentes époques.

L’endroit où ces sculptures ont été installées n’est pas fortuit; au sommet de cette montagne, le vent est pratiquement permanent. D’ailleurs aujourd’hui il n’y avait aucun vent à la base de cette montagne mais un vent fort à son sommet. Plusieurs éoliennes sont d’ailleurs exploitées sur ce sommet et les sommets environnants.

Sur l’une des sculptures représentant les pèlerins on peut lire l’inscription suivante :

« Donde se cruza el camino del viento con el de las estrellas »

Ce qui peut se traduire comme suit :

« Où la trajectoire du vent rencontre le chemin des étoiles »

Quel est le lien entre le vent, les pèlerins, le pardon et le chemin de Compostelle ?

Le vent ici représente les difficultés vécues par chaque pèlerin pour devenir ce qu’il voudrait être. Le pardon est la capacité à accepter les difficultés qui font que nous ne sommes pas toujours ce que nous voudrions être. Le chemin des étoiles (du mot Compostelle qui veut dire le champ des étoiles – la Voie Lactée qui est orientée dans le même axe que le chemin) représente le chemin que les pèlerins font dans leur vie pour devenir cette personne.

L’étape de l’Alto del Person représente donc la rencontre entre la réalité d’un côté et le devenir, en marche, chez le pèlerin.

Le fait d’installer cette sculpture au sommet d’une montée abrupte est symbolique aussi. Du sommet on a une vue panoramique très belle d’où l’on vient et où l’on va. Le chemin pour s’y rendre est difficile tant dans la montée que dans la descente (à pic et dans des sentiers pierreux).

J’apprécie beaucoup ce symbolisme du chemin et les évocations qu’il propose. (…)

Je me souviens encore très clairement de l’émotion qui m’habitait au sommet de cette montagne. D’un côté, à ma droite, je voyais tout le chemin parcouru et les difficultés rencontrées pour m’y rendre, chemin qui représentait mon passé. Tournant la tête vers la gauche, je pouvais apercevoir au loin l’endroit où je me dirigeais, avec toute la curiosité et le goût de découverte que cela comportait. Ce côté représentait symboliquement mon futur.

Cette sensation particulière, je l’ai ressentie également en approchant du village de Castrojeriz quelques jours plus tard. Ce sentiment était un mélange de liberté, de gratitude et d’émerveillement devant tant d’histoire et de beauté naturelle.

Il m’arrive parfois en écrivant ces billets, de me demander si j’avance encore vraiment aujourd’hui. Découvrir de nouveaux mots comme wanderlust, me permet de comprendre tout le sens de cette démarche.

Nos lointains ancêtres se sont levés debout et ont commencé à marcher sur leurs deux membres inférieurs avant d’amorcer une étape importante de l’évolution humaine. Mon corps, dans sa grande sagesse, m’a invité il y a trois ans à faire une expédition en incarnant ce besoin d’avancer, ce besoin d’évoluer. Cette sagesse du corps provient de cette mémoire ancestrale qui a été conservée. C’est un appel ancestral à poursuivre ma route en marchant moi aussi.

Mon expédition, nourrie de wanderlust, était une façon de faire naître un voyage intérieur. Un voyage dont les étapes se dévoilent les unes après les autres depuis. Ces étapes sont déjà toutes présentes en moi. À travers le monde des mots, ces billets me permettent de dessiner le tracé de cette expédition et d’en comprendre la trajectoire; ces billets font remonter à la surface de ma conscience des besoins enfouis en moi. Ces mots donnent à la fois un sens à cette expérience et apportent une nouvelle dimension à ce que j’ai vécu.

Je comprends maintenant que ce voyage n’était qu’un départ. Ce vent du changement vers le devenir, le vent de l’Alto del Perdon, est ce vent qui m’inspire maintenant, qui me pousse à avancer toujours plus loin. Comme une goutte d’eau qui cherche à rejoindre la mer, poussé par la sagesse de mon corps, je suis en marche depuis.

Monastère espagnol sur le chemin de Compostelle

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