On la recherche souvent pour être vu, pour sentir qu’on existe ; c’est l’attention tournée vers nous. On l’utilise également pour interroger ce qui nous entoure, pour entrer en relation ; c’est l’attention qui se tourne vers les autres.
L’attention est cette capacité à poser un regard sur quelque chose et à le questionner. C’est un geste qui initie une interaction, qui démarre une relation. Si l’amour est l’essence de ce qui relie, on peut affirmer sans se tromper que l’attention est l’étincelle qui rend cela possible. Être attentif, c’est être capable de questionner par notre regard ce qui nous entoure et de tenter d’entrer en résonance avec les autres qu’ils soient humains ou non-humains. L’attention est un outil essentiel qui sert à nourrir nos choix ; elle permet de percevoir la réalité qui nous entoure.
On distingue deux niveaux d’attention ; l’attention égocentrique et l’attention altruiste. L’attention égocentrique est l’attention qui pose le regard sur les autres afin d’y trouver des signes de reconnaissance. C’est un regard posé sur les autres mais qui revient vers soi. C’est une attention limitée qui cherche principalement à se nourrir du regard des autres. Un regard posé qui cherche à s’assurer d’être vu afin de nous prouver que nous comptons.
Dans le spectre de l’évolution humaine, ce niveau d’attention est un niveau adolescent. C’est une recherche d’identité. On peut l’associer au côté gauche du cerveau, à l’aspect rationnel de notre cerveau qui cherche en priorité à nous protéger, à faire taire nos peurs, à tout expliquer. C’est la partie qui fait naître l’aspect individuel et qui doit parfois fausser notre perception de la réalité pour se justifier.
Le second niveau d’attention est celui altruiste. C’est le regard posé vers les autres pour s’y relier, pour leur offrir quelque chose. C’est un regard qui part de soi pour aller vers les autres. Ce regard ne cherche pas à se nourrir des autres mais à initier une conversation, à mettre en place un lien de résonance qui nous relie à eux. C’est un regard qui cherche à s’accorder aux autres, à vibrer avec eux, qu’ils soient humains ou non-humains. Ce niveau d’attention est associé à la partie droite de notre cerveau, la partie qui contient notre imagination, nos intuitions et pour laquelle il n’y a pas de différence, pas de distance entre soi et les autres, mais seulement un tout.
L’attention altruiste est cette qualité de perception qui nous permet de voir le monde tel qu’il est. Contrairement à l’attention égocentrique, on n’y retrouve pas de jugement pour expliquer mais un ressenti à l’état brut, à l’état naturel. Plutôt qu’être manipulée par notre ego, l’attention altruiste fait fi de la séparation entre le moi et les autres. Elle prend sa source dans le collectif. Elle est cette façon de voir qui ramène notre regard vers l’ensemble, vers cette source dont nous sommes tous issus. Elle est un mouvement qui cherche à relier ; l’attention altruiste est la source de la connexion.
La société dans laquelle nous vivons a compris depuis longtemps toute la force de l’attention. Elle sait qu’elle peut facilement être prise en otage et détournée dans le but de l’exploiter. Le marketing et la publicité sont des façons de capter notre attention pour diriger nos actions. Implanter un désir en nous pour nous amener à acheter. Ces forces cherchent à nous emprisonner dans un cycle de consommation afin que nous les nourrissions. Ce faisant, la société nous éloigne des actions qui vont dans l’intérêt de notre propre nature pour nous asservir à des intérêts autres. C’est un mouvement qui nous coupe de notre liberté en faisant miroiter des satisfactions à court terme qui ne dureront pas et qui demanderont que nous consommions davantage. Ce mouvement cherche à nous rendre dépendants.
À une époque où l’action humaine et la culture de consommation nous mènent vers un désastre écologique, on voit bien qu’il faut changer de cap. Il faut recouvrer cette capacité de voir la réalité telle qu’elle est et de faire les choix qui s’imposent pour nous ramener vers notre vraie nature, pour que nous retrouvions notre liberté. L’attention est un outil essentiel pour cela.
L’attention nous amène devant des choix sensés et nous permet de les examiner à la lumière de la vérité. C’est un outil essentiel pour choisir quelles actions nous devons poser. Est-ce que cette action augmentera ma liberté ou est-ce qu’elle la limitera plutôt ? Être attentif, c’est éviter les pièges que la société place sur notre parcours pour détourner nos actions à ses fins. Sortir du cycle de la consommation qui ne nous satisfera jamais permet d’entrer dans celui de la résonance.
L’attention nous aide à trouver notre vrai chemin ; pas le chemin à court terme tracé par la société de consommation, mais un chemin qui nous mène vers notre vraie nature. Un chemin qui demande du courage pour le franchir. Un chemin moins évident et plus mystérieux car il ne commence à apparaître que lorsque nous faisons le premier pas. Un chemin qui se dévoile ensuite à chaque nouveau pas.
Lorsqu’un appel important se présente, c’est souvent le signal d’un éveil qui commence. Un éveil qui signale à son tour un retournement important à venir. Le retournement de notre attention égocentrique vers une attention tournée vers les autres. Après avoir grandi sous l’emprise de l’ego et sa responsabilité de nous protéger, nous nous transformons en nous débarrassant de cette armure qui n’a plus sa raison d’être et qui nous empêche d’avancer. C’est un moment important, un point tournant où la nature de notre regard change totalement.
Cette étape est celle de la remise en question, mot qui provient d’une racine latine qui exprime le fait de partir en quête (queste). Se remettre en question, c’est se remettre enfin en marche, c’est partir à la recherche du trésor qui contient les réponses. On voit là toute l’importance de poser les bonnes questions ; celles dont les réponses seront d’une grande richesse. David Whyte, un poète anglais, voit là un des sens de la vie ; trouver la plus belle question qui soit. Et ensuite partir à la recherche de sa réponse. Cette recherche, c’est la quête d’une vie. Une quête qui nous demandera d’être attentif, de faire de nombreux choix qui nous transformeront et nous prépareront à recevoir cette réponse tant attendue.
Être attentif, c’est constater que les valeurs et les façons de faire de la société actuelle mènent malheureusement vers un chemin sans issue. C’est voir que la société traite la nature comme une ressource infinie à exploiter. Une nature remplie d’objets et non de sujets ; une nature qui doit être dominée. Cette façon de penser colonisatrice, nous sépare de notre véritable réalité ; nous sommes de la nature et la nature est en nous.
Le défi pour redresser le cap est important, à n’en pas douter. Heureusement, nous n’avons pas besoin de tout changer et encore moins le devoir de changer les autres. C’est ici que la sagesse du corps et de la marche prend toute son importance.
Ce que la marche nous enseigne, c’est que de petits pas réguliers et constants finissent par franchir la distance. En commençant par un premier pas. Chaque changement d’attitude est un pas qui nous rapproche de notre vraie nature, de notre destination. Chaque pas dévoile un peu plus le chemin devant nous. Rester attentif durant cette démarche nous permet de voir dans les autres formes de vie tout le respect qui leur est dû. Des formes de vie autres qu’humaines qui doivent être traitées avec une grande révérence car elles font elles aussi partie de ce grand mystère qu’est la vie.
Cette démarche nous libère et ouvre le chemin. Elle entraîne à son tour des changements au niveau collectif et dans la nature. Elle donne une nouvelle vie à notre nature.
C’est un chemin rempli d’humilité qui nous demande de renoncer à notre arrogance et reconnaître notre vraie place dans cet ensemble ; nous sommes interdépendants; nous dépendons des autres formes de vie. Ce chemin demande du courage car nous devons réparer le tort important causé à la nature. Le faire un pas à la fois, mais avec une vigueur assumée.
« Pour fabriquer un monde nouveau, il faut partir d’un monde qui existe. Aucun doute là-dessus. Pour en découvrir un, peut-être faut-il en avoir perdu un. Ou être soi-même perdue. La danse du renouveau, celle qui a créé le monde, a toujours été dansée ici, au bord, à la limite, sur la côte embrumée. »
Ursula K. Le Guin, Danser au bord du monde.
Pour nous donner le courage de cette danse du renouveau, il faut savoir écouter les sages. Rumi disait “vous n’êtes pas une goutte dans l’océan ; vous êtes l’océan tout entier dans une goutte d’eau”.
Revenons à la sagesse de nos ancêtres et à cet océan de possibilités que nous portons. Tout est déjà en nous. Il suffit de revenir à nos racines pour qu’elles nous nourrissent. Il suffit de redevenir fidèle à notre propre nature.
Soyons attentifs. Prenons soin de notre nature.