Hier, je suis allé reconduire mon fils à l’aéroport. Pour lui, c’est le début d’une nouvelle vie car il va rejoindre sa copine en Allemagne pour amorcer leur vie de couple. Ce n’est pas un voyage de vacances car il quitte la maison pour de bon; c’est le début véritable de sa vie adulte. C’est une expérience de départ pour lui, celui où il y a un avant et un après. Pour nous parents, c’est aussi l’annonce d’une nouvelle vie; celle où nous allons laisser aller notre rôle de parent à temps plein. Pour mon fils comme pour nous, c’est la vie qui se transforme. L’essence de la vie est le changement; la vie est métamorphose.
Le mot métamorphose provient du grec ancien metá et morphoô qui signifient respectivement, l’après et forme. La métamorphose est donc la transformation qui produit une nouvelle forme. Le propre de la vie est de toujours se transformer; tout est mouvement. De la conception jusqu’à la mort, tout se transforme, rien ne reste toujours le même. La naissance, comme la mort, est un espace liminaire; c’est le passage d’un monde à un autre. Nous n’apparaissons et ne disparaissons pas vraiment; la vie nous transforme.
Nous pouvons avoir l’impression qu’il existe une partie de notre enveloppe matérielle qui ne change pas. Mais cette impression est une illusion. Sur les quelques 100 000 milliards de cellules qui forment notre corps, vingt milliards de ces cellules sont remplacées par de nouvelles tous les jours. Les cellules qui forment notre épiderme ont une durée de vie de trois à quatre semaines. Les cellules de nos poumons durent environ 500 jours tandis que celles qui forment la rétine se renouvellent tous les dix jours. On estime que la plupart des cellules du corps humain ont moins de dix ans. Les neurones semblent être l’exception à la règle car ils ont généralement le même âge que la personne.
Notre identité ne découle donc pas de notre forme actuelle car celle-ci change constamment. Notre identité tient plutôt au fait que nous sommes issus du croisement de deux personnes; notre mère et notre père. En nous cédant chacun leur bagage génétique, nos parents entreprennent une migration; à travers nous, la vie qui les anime continue de se transformer en se mêlant à celle d’une autre vie. C’est ainsi que la vie se perpétue; à travers les autres et par la migration vers une nouvelle forme qui mène vers un futur inconnu. La vie explore; la vie est migration.
Cette identité qui est si importante quand nous sommes plus jeune, cette identification à un moi qui n’est qu’une illusion, c’est le règne de l’ego. Durant notre jeunesse, nous cherchons à préserver l’intégrité de ce moi car il est fragile. La plupart de nos actions sont réalisées dans ce but; sans le savoir nous utilisons les autres pour renforcer cette image du moi; nous vivons sous l’emprise d’un egosystème.
L’appel qui participe à notre éveil est le début d’un retournement. Notre vision qui se préoccupait principalement du moi découvre l’existence d’une communalité dans la multitude qui l’entoure. Notre regard se change alors pour découvrir notre originalité. Nous cherchons à retrouver nos racines pour identifier d’où nous venons, qui nous sommes vraiment et vers quelle destination nous nous dirigeons. Nous cherchons la source de ce qui nous entoure. Nous redécouvrons notre nature.
Nous faisons alors une découverte fascinante. Cette nature qui nous entoure, toutes ces formes de vie qui manifestent chacune à leur façon ce qui les différencie, n’est en réalité qu’une expression d’une unicité qui les relie. Tous les besoins que nous éprouvons, le besoin de sécurité, le besoin d’appartenance, celui de reconnaissance, le besoin d’exprimer notre histoire dans la création, tout cela nous ramène vers la source dont nous sommes tous issus et qui nous relie. Nous sommes tous ces gouttes d’eau qui chacune à leur façon cherchent à retourner à la mer. Nous sommes toujours en changement, en métamorphose. Chaque métamorphose est un pas. Un pas sur le chemin de vie, un chemin qui devient migration. Nous sommes tous nomades.
Ce qui alimente cette métamorphose est un mystère. Un mystère qui explore le monde des possibles en l’exprimant sous différentes formes; une fleur ici, une bactérie ou un humain là. Toutes les formes de vie bien que différentes ont toutes la même essence; c’est la vie qui se manifeste pour explorer le monde des possibles, à la recherche de l’unicité et de la cohérence.
Cette découverte nous amène à quitter notre egosystème pour faire partie de l’écosystème. Nous comprenons que nous avons besoin de l’ensemble de la nature, fleurs, arbres, bactéries, animaux et autres humains, pour marcher vers ce mystère et nous y relier. Notre identité n’est qu’un véhicule qui transporte ce mystère. Sans le savoir, nous sommes inspirés par la vie de ceux qui nous précédent. Dans chaque inspiration que nous prenons, on calcule qu’on retrouve environ 10 000 molécules d’oxygène qui faisaient partie du dernier souffle de Jules César. Il en est ainsi de toutes les personnes qui ont foulé le sol terrestre. Dans chaque inspiration, nous accueillons en nous le souffle de vie de tous les ancêtres qui nous ont précédé. L’histoire de l’humanité entière nourrit notre inspiration. Notre vie est la continuité d’une grande histoire qui nous inspire et qui s’écrit dans chacun de nos pas.
Durant la première nuit suivant la naissance de mon fils, je l’ai bercé toute la nuit sur mon épaule pour le rassurer, pour qu’il sache que j’étais là pour lui. Mon chemin de vie comme parent commençait alors véritablement; je prenais mes premiers pas comme parent. Vingt-deux ans plus tard, j’ai vu entrer mon fils seul dans l’aéroport, sachant que les pas qu’il prenait avaient un sens particulier; il entamait sa nouvelle vie adulte en quittant la maison familiale. En me quittant, il m’a serré sur son épaule. La vie venait de se retourner. J’étais maintenant celui qui aurait voulu passer toute la nuit sur son épaule pour me faire rassurer. Pour que je comprenne dans quel monde j’allais me retrouver, pour que j’entrevois un peu plus clairement cette nouvelle vie qui m’attendait. La vie encore une fois venait de se retourner comme c’est dans sa nature de le faire.
La vie est métamorphose. Tout est mouvement, tout est changement. La vie tourne et se retourne constamment. Elle nous traverse, à certains moments nous renverse et parfois elle nous bouleverse. Toujours elle se déploie, puis se replie, laissant sur les pages de notre vie les traces d’une belle histoire à suivre. Une belle histoire qui nous relie.
