Migration

Le mot d’aujourd’hui peut sembler ne pas être en lien avec nos vies. À l’époque où nous vivons, la sédentarité est devenue une norme. Plusieurs personnes habitent toujours le lieu de leur naissance. Malgré cela, le nomadisme de nos ancêtres demeure en nous. C’est un besoin qui existe toujours même s’il est enfoui sous la montagne de nos habitudes et de notre conditionnement. L’être vivant est essentiellement nomade; ce besoin s’exprime dans la migration.

Lorsqu’on parle de migration, on peut penser à celle des animaux; oiseaux migrateurs, poissons et aussi du côté des insectes; la migration des papillons monarques entre autres. Mais le phénomène migratoire n’est pas spécifique à une espèce particulière. C’est une caractéristique fondamentale de l’être vivant: celui d’être en mouvement.

Ce besoin de mouvement s’exprime chez les êtres dotés de membres qui leur permettent de se déplacer. Mais on le retrouve également chez les plantes qui n’ont pas cette capacité. À travers une échelle de temps qui dépasse celle de leur vie, les plantes explorent et se déplacent. Par la production de spores ou de graines qu’elles sèment à tout vent, les plantes se déplacent dans l’espace à travers les générations. On estime ainsi qu’à cause du réchauffement climatique, les plantes alpines grimpent de quelques mètres les montagnes qu’elles occupent à chaque décennie. Ce mouvement est la vie éphémère qui cherche à se perpétuer, qui cherche à durer.

La vie est un processus d’exploration. Nous sommes tous des explorateurs. Le mot exploration provient du latin explorare qui signifie faire une enquête, observer, fouiller, rechercher. Il est apparenté au mot expleo qui signifie aller jusqu’au bout, remplir, satisfaire, compléter.

À travers la migration, nous cherchons bien sûr à satisfaire nos besoins primaires; se nourrir, être en sécurité, survivre. Mais ce besoin de mouvance ne disparaît pas dès que nos besoins primaires sont comblés. Lorsque nous restons immobiles pendant une période, il réapparaît. La migration est une composante essentielle de la vie. Elle exprime ce fort besoin de rechercher quelque chose pour nous remplir, pour nous satisfaire; pour nous sentir complet.

Le mot migration provient de la racine indo-européenne meo qui signifie aller, passer. Cette définition implique deux éléments importants; migrer c’est aller vers quelque chose et en même temps c’est passer par un endroit. Il y a donc la notion d’une destination dans la migration ainsi que le concept de passage. Lorsqu’on migre, on se déplace à travers un certain nombre de passages vers une destination à atteindre.

Le mot passage exprime l’idée de se déplacer en faisant des pas. Il vient du latin passus et de pando qui signifie étendre, déployer, s’ouvrir. Dans le grec ancien, il est associé au mot qui correspond à une feuille, à un pétale.

Un passage est donc ce lieu particulier où l’on déploit quelque chose qui existe en nous mais qui restait invisible, c’est l’étape où on expose une partie de nous pour qu’elle fasse partie du monde. Le passage est donc un lieu où l’on met au monde; c’est un lieu de naissance.

Pour pouvoir passer à travers ce lieu, une ouverture doit exister. L’ouverture permet ce passage d’un monde à un autre, d’une version de nous à une version différente. Le passage à travers cette ouverture suppose un départ; nous devons nous départir d’une forme pour accueillir une nouvelle forme. Le passage est donc ce qui transforme. L’ouverture est ce qui rend possible le passage; pas de transformation sans ouverture.

Le mot ouverture a comme racine le mot latin apertura qui dérive lui-même du préfixe ab– et de pario qui signifie une séparation qui permet de mettre au monde, d’enfanter. L’ouverture est une séparation qui fait naître.

Se transformer impose trois étapes. D’abord renoncer à une partie de nous, s’en départir; c’est un départ, c’est une séparation, c’est une dissolution. Ce vide qui est créé laisse une place au possible, à la création. Il faut ensuite accueillir en nous un possible qui s’annonce mais qui n’est pas là encore. C’est l’étape de la construction, du mouvement lent qui mène vers la naissance. C’est l’étape du mouvement qui relie. La dernière étape est celle du déploiement. Ayant acquis une nouvelle forme, nous la déployons pour la rendre visible. C’est l’étape de la naissance. Un nouveau nous vient de se mettre au monde. Ce processus de transformation est la base du mot migration. Migrer c’est se diriger vers une destination à travers une suite de changements.

Tous nous ressentons pleinement ce besoin de migration. Dans la vie, nous nous fixons des objectifs. Lorsqu’ils sont atteints, nous constatons souvent que le plaisir est de courte durée; malgré leurs atteintes nous ressentons le besoin de continuer d’avancer. Cela ne fait pas de nous d’éternels insatisfaits mais exprime plutôt cette essence que nous portons profondément en nous et qui nous invite à toujours avancer, à se transformer pour atteindre une destination.

À travers un grand nombre de transformations, nos ancêtres sont passés d’une forme de vie déployée dans les océans à une forme de vie terrestre. Puis de la terre ferme, ils ont commencé à explorer la Terre en migrant pour s’établir dans tous les coins du globe. Nous avons ensuite commencé à explorer l’espace et les planètes voisines. Nous avons tous en nous un besoin d’explorer, le besoin de partir à la recherche d’une chose qui nous anime. La migration est cette expression.

À travers l’histoire de la vie, à travers l’héritage de nos ancêtres, une ligne se trace; on voit apparaître l’ébauche d’une trajectoire. Cette trajectoire nous ne savons pas où elle nous mène; elle demeure un lieu mystérieux. Mais comme un chemin s’ouvrant graduellement devant nous, ce mystère nous invite à nous mettre en marche, à parcourir la distance qui nous en sépare. Ce mystère est notre lieu d’origine, c’est un être mystérieux qui nous invite à le rejoindre en nous transformant petit à petit, pas à pas. C’est un être qui cherche à nous inspirer, c’est un être qui aspire à nous réunir, c’est un être qui tend vers nous une ligne d’amour pour nous rassembler.

Cet être a besoin de naître à travers nous pour pouvoir rayonner. Entendons son appel, acceptons son invitation, mettons-nous en marche et à travers l’expression de chacune de nos histoires, à travers notre originalité, franchissons la distance.

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