Présence

Les choses en apparence les plus simples se révèlent parfois être les plus difficiles en réalité. La présence est de ces choses.

Qu’est-ce qu’être présent ? C’est le fait d’être disponible par l’esprit aux sollicitations extérieures.

Le fait d’être présent implique donc une ouverture envers ce qui nous entoure, une intensité de perception, une réceptivité. Le niveau de présence atteint détermine la qualité de présence. Lorsque tous nos sens sont activés, nous pouvons percevoir avec acuité tout ce qui nous entoure. La présence n’est pas simplement une action de l’esprit; elle demande la participation de tout notre corps. Pour bien percevoir, il faut savoir ressentir pleinement.

Ressentir les sentiments qui nous habitent d’abord. Ressentir également tous les signaux subtils que lance notre corps. Cette capacité à les percevoir et à les décoder c’est l’intéroception. À travers notre système nerveux autonome et plus particulièrement à partir du nerf vague, notre corps nous relaie constamment son évaluation de l’environnement qui nous entoure. Cette fonction est gérée par la partie la plus ancienne de notre cerveau; le cerveau reptilien. Elle a comme but d’estimer le risque que nous courons et de gérer les réactions nécessaires. Tout cela se fait automatiquement et inconsciemment.

Le nerf vague constitue la poutre de ce système. Il relie nos organes comme le coeur, nos poumons, le système digestif, nos glandes, le larynx et notre cerveau. C’est ce système qui est responsable des réactions de type combat-fuite-paralysie (fight-flight-freeze). Dans une situation perçue comme dangereuse pour notre survie, ce système va automatiquement déclencher une réaction appropriée; soit fuir, cesser de bouger ou combattre. Notre corps est automatiquement mis dans le mode correspondant pour nous préparer; production d’hormones, accélération du rythme cardiaque, rétrécissement de la vision périphérique, sentiment d’urgence, etc.

L’intéroception nous permet de ressentir les effets de cet automatisme et d’en devenir conscient. Lorsque dans une situation sociale nous ressentons soudainement que les poils de notre corps s’hérissent et sommes envahis par un sentiment de peur, c’est un signal lancé par notre corps. Le message de la peur est que nous devons être attentif car une menace est perçue. La colère exprime quant à elle le besoin d’établir une limite. La honte nous demande de restaurer notre intégrité parce que nous percevons que nous avons mal agi. C’est un appel à corriger notre comportement pour qu’il reflète nos valeurs.

Être présent, c’est donc essentiellement être à l’écoute. Être à l’écoute des signaux de notre corps, ressentir les émotions qui nous habitent, percevoir à travers nos sens, observer les pensées qui traversent notre esprit et ressentir l’état d’esprit des personnes qui nous entourent. Être présent, c’est aussi être sensible aux messages et au langage de l’univers; cette synchronicité, par exemple, qui est souvent ignorée parce que très discrète. Être présent demande plus qu’une simple présence physique; il faut savoir être réceptif, être à l’écoute à tous ces niveaux.

L’empathie, soit la capacité à ressentir l’état d’esprit des autres personnes qui nous entourent, se fait entre autre grâce à la présence des neurones miroirs dans notre cerveau. Ces neurones ont comme rôle de simuler par mimétisme le comportement de ces personnes afin que nous puissions déterminer leur état d’esprit. Le but de cette fonction est social; pouvoir prédire leur comportement et pouvoir réagir en conséquence sans qu’un échange explicite soit requis.

La qualité de présence implique donc de gérer tous ces aspects en tentant de les rendre conscients. Ce sont de multiples langages à découvrir, à apprendre et à maîtriser.

La présence repose sur la réceptivité. Être réceptif c’est être prêt à accueillir ce qui se présente à nous. Pour être réceptif, il faut créer en nous un espace pour recevoir. Créer cet espace, c’est essentiellement faire le vide en soi pour pouvoir accueillir.

Devenir plus conscient, toucher à la pleine conscience, c’est aussi apprendre à gérer ces différentes formes de perception qui émergent. C’est apprendre à ne plus réagir instinctivement, mais à observer et réagir de façon consciente. Réagir avec compassion plutôt qu’avec colère lorsqu’on constate qu’une personne éprouve des difficultés à respecter nos limites parce qu’elle n’a pas appris à gérer les siennes.

Dans mon parcours de vie, j’ai vécu plusieurs années en étant dissocié de mon corps. Je n’habitais que l’étage de la raison, je n’écoutais plus ce que mon corps me disait. À vouloir le bien des miens et réussir professionnellement, la forme d’écoute que j’avais choisi inconsciemment pour répondre à mes besoins de reconnaissance était de tenter de répondre aux besoins de tous, mais en ignorant les miens. Je n’étais plus ancré.

À force de ne plus habiter mon corps, je suis devenu invisible, n’incarnant plus ce que j’étais. Je suis tranquillement devenu une machine, une distributrice. On me demandait des choses et je donnais. Jusqu’à ce que la lucidité me rattrape et que je constate ce profond déséquilibre.

Pendant cette période, jamais mon corps ne m’a lâché, heureusement. Ce qui a été l’élément déclencheur de cette prise de conscience, c’est le sentiment que le temps passait et que je n’en profitais pas. J’étais pris dans le piège de la production, dans le tourbillon de la vie. J’avais perdu mes repères et je n’étais plus à l’écoute de mes propres besoins.

C’est à ce moment que l’appel s’est présenté. Un appel à ramener mon attention vers l’essentiel. Un appel à me retrouver d’abord puis à redéfinir le sens à donner à la suite de ma vie. J’avais le sentiment que je devais partir en expédition.

Cet appel procédait de l’intuition. Cela faisait peu de sens au niveau rationnel. Mais j’avais néanmoins la conviction profonde que je devais suivre cette intuition.

Pour répondre à cet appel, j’ai d’abord pris la décision de quitter un emploi que j’avais laissé se transformer en prison dorée. J’ai quitté des collègues que j’appréciais beaucoup car je n’avais plus la motivation nécessaire pour répondre aux exigences souvent démesurées du poste que j’occupais. Cette situation était sans issue; elle menait directement à l’épuisement professionnel.

Pour répondre à cet appel, j’ai aussi pris la décision de me préparer à partir en expédition. J’ai choisi de traverser à la marche, avec un sac à dos comme seule possession, le sud de la France et le nord de l’Espagne. J’ai choisi de faire le pèlerinage du chemin de Compostelle du Puy-en-Velay à St-Jacques-de-Compostelle. Une expédition de plus de soixante-dix jours en autonomie où j’ai pu retrouver un sentiment de liberté qui m’avait quitté depuis longtemps.

Dans l’heure qui a suivi ma démission, j’ai acheté mes souliers de randonnée et mon sac à dos. Sans le réaliser à ce moment, je venais de poser la première étape d’un retour vers mes origines; je venais de commencer à réintégrer mon corps. Je venais d’incarner ma décision, je faisais mes premiers pas vers une nouvelle forme de présence pour moi. Bien d’autres étapes allaient suivre, dont quelques surprises et découvertes dans les mois qui suivirent.

Je venais de commencer un long chemin pour retrouver mon vrai centre. Un chemin dont je tirerais de précieux enseignements. Tout changement doit d’abord être incarné avant d’être pleinement vécu. Incarner un changement nous permet de le vivre, de l’exprimer à la fois avec notre corps et notre esprit; c’est une union complète de ces deux parties.

Cet enseignement par l’expérience allait devenir la clé pour retrouver cette qualité de présence qui me manquait. En faisant ces premiers pas, j’incarnais mon nouveau chemin, mon besoin d’avancer.