Le mot qui coiffe ce billet me tient compagnie depuis un certain temps. Toutes les racines des mots que j’explore semblent d’une façon ou d’une autre mener à ce mot. C’est comme s’il était au carrefour de mes idées, qu’elles se rencontraient toutes à ce même point central.
Dans le mot relier, on constate que l’action de lier n’est pas nouvelle. Le mot semble plutôt indiquer que l’on remet en place un lien qui était là à l’origine. Si on regarde l’origine du mot, il provient du latin re-ligo qui veut dire lier de nouveau, refaire le nœud qui liait et qui était défait. Le mot relier signifie aussi mettre ensemble, mettre en rapport, assembler, unir, attacher, encercler et entourer.
Les enfants du mot relier sont nombreux. Il y a d’abord le mot obligation (ob-ligo) qui indique l’action de se lier envers quelqu’un, de s’engager. On croit aussi que le mot religion provient de cette racine. Vu sous cette perspective, la religion est donc le fait de rassembler, de relier les gens entre eux. On peut se demander ce qui permet de relier les gens entre eux, ce qui agit comme colle symbolique et qui les garde ensemble.
Le fait de rester unis ensemble porte un nom; c’est la cohésion. La cohésion est le résultat de ce qui est cohérent. Le mot cohérent provient du latin co et haereo qui signifie qui adhère avec. La cohésion, c’est donc ce qui permet d’être lié à quelqu’un à travers un fil conducteur. Ce fil conducteur c’est souvent le sentiment d’appartenance.
L’appartenance est le fait d’être un élément d’une chose qui forme un tout. Le sentiment d’appartenance est le fait de reconnaître à travers les autres une unité dont nous avons été séparés. Se relier permet de retrouver ce sentiment d’appartenance, qui nous fait ressentir qu’avec les autres nous sommes plus. Le fait de se relier aux autres ne diminue pas notre individualité; au contraire le fait de se relier met en valeur nos différences en les combinant avec celle des autres.
Cette unité qu’on retrouve en se reliant, est un retour à nos origines, à notre vrai centre. La source qui se trouve dans notre vrai centre contient les expériences de tous nos ancêtres. En se reliant à travers les autres, nous mettons en place un fil conducteur qui nous donne accès à la sagesse de cette source. Lorsque nous sommes ouverts aux autres, lorsque nous créons de l’espace pour permettre cette rencontre, relier vient nous combler. Par un mouvement de réciprocité, nos différences nourrissent les autres et les différences des autres reviennent vers nous pour nous nourrir.
Se relier c’est donc toucher à l’essence des autres et les laisser à leur tour voir et toucher à notre essence. En nous reliant aux autres, nous avons la possibilité de devenir plus, de toucher à l’originalité; se relier fait naître l’authenticité.
L’action de relier a aussi un aspect créatif. On a vu que la nature est essentiellement poétique c’est-à-dire créatrice. À travers la création, elle cherche à faire naître un possible, elle cherche à connaître.
Dans les premiers moments de la naissance de l’univers, tout est condensé dans un point infinitésimal. Ce point contient tout, mais un tout qui est composé de choses identiques.
L’univers naît dans une expansion rapide qui prend la forme d’une explosion. On parle d’une soupe primordiale qui contient des particules identiques qui cherchent à se séparer. En se séparant, elles espèrent trouver ce qui les distingue des autres, elles cherchent leur originalité. Ces particules constatent rapidement que sans les autres elles ne peuvent devenir plus. Avec gravité, elles comprennent que pour devenir plus elles doivent se relier.
Commence alors la danse de la complexité. Les particules s’assemblent pour former un amas cohérent. Elles accumulent les liens jusqu’à ce qu’un point critique soit atteint. Ce point critique est un moment magique; s’étant reliées en nombre suffisant, la force de la gravité qui les relie parvient à vaincre la force nucléaire; les noyaux atomiques qui étaient séparés fusionnent ensemble. Les particules qui étaient identiques au départ ont maintenant une différence avec les autres; la danse de la complexité vient de se mettre en marche. Une première étoile naît. À travers la présence des étoiles, véritables creusets de la matière dans l’univers, de nouvelles différences vont apparaître; l’hydrogène va se transformer en hélium, puis en lithium, béryllium, bore, carbone, azote et oxygène. C’est ainsi que tous les atomes nécessaires pour faire apparaître la vie vont être formés; en reliant un à un les atomes d’hydrogène qui correspondant à une particule élémentaire indistincte des autres.
Par sa danse créative, l’univers va relier et mettre en place des structures de plus en plus complexes d’où naîtra finalement la vie. La Terre va d’abord être un immense bloc rocheux qui va capturer l’eau provenant des météorites qui le bombardent. Puis des bactéries, une forme de vie unicellulaire, vont développer la capacité d’utiliser l’eau et l’énergie du soleil pour créer de l’oxygène par photosynthèse. La vie fait ainsi surgir par elle-même les conditions qui lui permettent de survivre et d’évoluer. Le phytoplancton, un organisme microscopique vivant près de la surface dans les océans, est responsable pour plus de la moitié de la photosynthèse sur la planète. Nos océans contiennent donc une forêt invisible.
Relier permet de faire émerger la nouveauté. Relier permet de faire évoluer. En reliant, on s’ouvre à un monde de possibles, on passe de l’imagination à la réalisation.
Relier est cette opération qui fait naître la magie de l’univers, qui lui permet d’être créatif. Ce qui émerge de cette action ne peut pas être connu d’avance. Relier permet de faire surgir, de faire jaillir une nouvelle forme d’être. Relier permet de dévoiler ce qui se cache en le faisant émerger. L’univers est à construire quelque chose d’inconnu, une nouvelle forme de vie et d’intelligence dont nous sommes les parties. L’univers est un projet.
Sur une base personelle, le mot relier je l’ai d’abord vécu à travers mon inconscient. Inconsciemment, j’ai d’abord commencé par incarner cette intention de me relier. Mon pèlerinage vers Compostelle était l’étape qui permettrait d’abord de marcher pour me retrouver. Me retrouver en redécouvrant qui j’étais vraiment, en reliant ensemble tous les aspects connus et cachés de ma personnalité. C’était l’étape où j’incarnais cette décision d’avancer pour redevenir un.
En revenant de Compostelle j’avais atteint une étape mais il restait beaucoup de chemin à faire. Encore une fois, inconsciemment, j’ai fait le choix de continuer à marcher. Mon corps, avec sa grande sagesse, précédait mon esprit en m’indiquant d’incarner d’abord le changement; marcher était devenu un besoin. Dans l’année qui a suivi mon retour de Compostelle, j’ai marché une quinzaine de kilomètres tôt le matin à presque tous les jours, été comme hiver. À travers cette marche, j’ai compris que la prochaine étape de mon chemin était de me réinventer en imitant la nature et en renaissant. De créer un espace en moi en me libérant de mon besoin de contrôler le futur. D’accepter d’être vulnérable face à celui-ci. De créer ainsi une ouverture pour accueillir le moment présent et toutes les expériences qu’il contient.
Deux ans après avoir incarné mon chemin, il prenait un nouveau virage. Sans m’en rendre compte consciemment, j’allais commencer une nouvelle étape. En m’inscrivant à un cours de yoga sur ce qui me semblait être une décision du moment, j’allais bientôt découvrir la richesse de cet élan. En lisant plus sur le sujet, j’allais découvrir une philosophie dont le but est de relier le corps et l’esprit. J’allais aussi être inspiré par la personne qui nous enseignait et sa nature bienveillante.
