Rites

On retrouve la présence de rites dans la culture de la plupart des peuples anciens. Dans notre société moderne, ces rites ont souvent disparu car qualifiés de superstitions. En réalité, la disparition de rites dans notre culture est le symptôme d’un mal beaucoup plus profond. En nous séparant de la nature, en adoptant une attitude individualiste, nous nous sommes séparés des autres et en même temps de cette cohésion qui nous liait avec eux; notre système de croyances s’est dissout. Nous ne croyons plus en rien.

La culture est ce qui relie les gens entre eux. Il s’agit de valeurs communes au niveau spirituel, affectif, intellectuel et matériel qui caractérisent ces gens et qui leur donnent leur propre essence. La culture s’exprime dans les arts, dans la science, dans les lettres, dans les modes de vie, dans les lois, dans la tradition et dans les croyances. La culture est quelque chose que nous créons et qui exprime notre façon d’être, de penser, d’agir et de communiquer. Elle regroupe nos rêves et nos aspirations; la culture incarne ce qui nous relie.

Un élément essentiel de la culture est constitué des traditions qui expriment ses croyances. Le mot tradition provient du suffixe latin trans (à travers) et du verbe do (donner, enseigner). Les traditions sont donc une façon de donner un enseignement à travers des légendes, des faits, des opinions et des coutumes. C’est une façon de transmettre nos valeurs en les enrobant dans des véhicules qui les transportent.

L’une des coutumes qui s’avère particulièrement importante est celle des rites. Les rites sont une façon d’exprimer et d’incarner un passage dans la vie et nos croyances. C’est une façon d’incarner ce qui dans la culture nous relie.

Le mot rite provient du latin ritus qui est apparenté au mot reor qui signifie fixer, nouer, assembler. Le rite est ce qui met de l’ordre dans notre façon de penser, c’est ce qui relie nos valeurs, c’est ce qui met de l’ordre entre elles; c’est ce qui les réordonne. Le rite permet d’évoquer puis d’incarner nos valeurs et nos croyances.

Lorsque je regarde comment j’ai vécu les étapes importantes de ma vie, je me rends compte que je les ai toujours vécues à travers des rites de passage que je me construisais sans en être véritablement conscient. C’est comme si intuitivement je savais que je devais passer par un rite de passage pour incarner complètement un changement que je traversais.

Je me souviens de ma première pensée philosophique à l’âge de 4 ans où je m’étais répété plusieurs fois que je devais me souvenir que je pouvais maintenant penser par moi-même à cet âge. Je me souviens aussi d’un rite de passage très symbolique fait au début de la trentaine lorsque j’avais décidé de transformer ma vie pour emprunter le chemin menant vers la famille. J’ai encore chez moi cette eau magique recueillie d’une petite chute en Gaspésie (le Voile de la mariée) et consacrée au sommet du Mont Albert par un cérémonial composé de plusieurs rites. Le moment était important pour moi; ces rites exprimaient tout le sens de cette transformation que je préparais.

Lorsque j’ai pris la décision de faire le chemin de Compostelle en 2018, je le faisais aussi pour faire vivre à mon fils de 18 ans un rite de passage vers le monde adulte. À l’époque il se cherchait encore comme bien des adolescents. Il venait de connaître une session difficile au cegep et je sentais qu’il avait, lui aussi, besoin d’ouvrir ses horizons pour choisir la suite de son chemin. Je lui avais donc proposé de m’accompagner dans ce pèlerinage.

L’âge de 18 ans est cet âge où nos amis sont beaucoup plus importants que nos parents; je savais qu’il risquait de trouver difficile la présence constante de son père et l’absence de ses amis. Je souhaitais qu’il voit dans cette expérience le bienfait de la persévérance et qu’elle l’aide à franchir le passage vers le monde adulte.

Comme je l’avais prévu, il trouva les premières semaines plutôt difficiles. Les longues distances à franchir et la météo parfois inclémente se conjuguaient pour tester sa détermination qui était encore naissante. Au milieu du trajet, après 30 jours de marche et quelques jours avant que nous franchissions la frontière entre la France et l’Espagne à travers les Pyrénées, il m’avoua vouloir abandonner et retourner voir ses amis qui lui manquaient. Je tentai de le dissuader en lui mentionnant qu’il y a parfois des moments dans la vie où nous sommes sur le point d’abandonner juste avant que celle-ci nous comble. Je lui suggérai d’attendre un peu avant de prendre une décision finale; qu’il serait fier de lui s’il allait jusqu’au bout du chemin, qu’il ne le regretterait pas.

Le destin est une monture assez étrange. Il nous inspire et nous fait parfois faire des choses sans que nous réalisions vraiment leur plein sens ou leur portée. À travers des expériences, il nous transporte là où nous devons aller. J’allais bientôt en être témoin encore une fois; le chemin s’apprêtait à nous dévoiler sa grande sagesse et sa générosité.

Après avoir traversé les Pyrénées, nous nous trouvions maintenant en Espagne avec une faune beaucoup plus jeune et cosmopolite du côté des pèlerins; canadiens, suisses, coréens, américains, allemands, japonais, hollandais, etc.

Trois jours après être entrés en territoire espagnol, nous rejoignions la ville d’Estella (« l’étoile »). Le nom de la ville n’était pas fortuit. Mon fils allait faire une rencontre déterminante dans l’auberge où nous nous trouvions. Une gentille allemande allait faire battre son cœur et briller dans son ciel. Désormais, les kilomètres du chemin pour lui ne seraient plus une difficulté, mais une occasion de marcher et de connaître celle qui deviendrait son grand amour. Le chemin venait de lui offrir ce qu’il avait le plus besoin; un possible, une raison de persévérer, une expérience de vie et en même temps une belle leçon. Ce rite de passage vers le monde adulte venait de prendre tout son sens. En franchissant les Pyrénées, fiston venait de franchir le seuil du monde adulte. Nous venions de croiser cette étoile qui allait briller et semer l’amour dans son cœur. Pas besoin de vous dire que j’ai fait la suite du chemin en solo; fiston préparait avec une grande détermination la suite de son avenir.

Cela fait maintenant trois ans qu’ils se fréquentent et s’échangent les visites durant l’été. Cette année, ayant terminé ses études, fiston ira rejoindre son amoureuse pour de bon en Allemagne pour y amorcer une nouvelle vie. Disons que c’est probablement le canadien le mieux informé sur les mesures de restrictions aux frontières dues à la pandémie. Ce sera une belle expérience de vie pour lui. J’ai beaucoup de gratitude envers le chemin qui a été très généreux.

Les rites de passage permettent d’incarner le changement. Ces rites sont un legs de nos ancêtres qui les ont éprouvés maintes et maintes fois. Comme eux, je souhaite de plus en plus vivre consciemment des rites dans ma vie. Des rites qui expriment mes croyances, des rites qui me permettent d’évoquer mes valeurs, des rites que je vis au travers de symboles et de rituels et qui injectent plus de magie et de sens dans la vie.

Les rites de passage ont toujours joué un rôle important pour moi, même si je n’en étais pas conscient. Le passage que je traverse présentement m’appelle à vivre un nouveau rite. Un rite qui me permettra d’officialiser ce passage, de l’incarner.

Je travaille très fort à le préparer. Comme tous les autres rites que j’ai vécus, je souhaite qu’il exprime le mieux possible ce changement important qui se prépare dans ma vie. Je souhaite qu’il me fasse passer dans un nouveau monde où je pourrai exprimer toutes mes valeurs et mes croyances. Un monde où je pourrai tisser des liens avec des hommes-sages et des sages-femmes et participer à bâtir un village; notre village.

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