Vide. Silence. Deux mots qui peuvent faire peur car on les associe généralement à l’absence, au néant. En réalité, ces mots précèdent et sont à la base de tout ce qui existe.
Du Big Bang jusqu’à ce qui constitue la créativité, le vide est ce néant dont tout naît. C’est la face cachée de tout ce qui existe, c’est l’envers de la médaille. Le vide se manifeste comme un appel, un dévoilement à venir. Le vide est un état de réceptivité qui annonce un devenir.
Les lois de l’univers se manifestent par de nombreux paradoxes ; le vide en fait partie. Le vide enveloppe un aspect créatif qui demeure un mystère. Un mystère à la fois opposé et complémentaire au vide. Un mystère qui est la source de tout. Le vide est un espace dans lequel ce mystère indicible se manifeste. Du non-être on voit apparaître l’être ; du rien naît le possible. Le vide est l’espace du mystère.
Que l’on soit artiste, écrivain, ou poète, le vide est un espace de création. C’est la page blanche sur laquelle des mots vont être jetés et raconter une nouvelle histoire. C’est la toile qui va accueillir les traits du pinceau de l’artiste. C’est le silence qui va porter cet espace de temps savamment disposé entre les notes d’une œuvre musicale. C’est l’espace laissé çà et là dans une sculpture pour exprimer une forme.
Pour pouvoir créer, il faut se donner de l’espace. Il faut savoir se débarrasser de tout ce qui encombre. Faire le vide, c’est laisser la place au mystère, s’y abreuver et accueillir l’inconnu qu’il contient. Faire le vide, c’est tendre vers le devenir, c’est lâcher-prise, c’est se dépouiller.
Le chemin de la vie, à travers les diverses expériences que nous traversons et qui nous traversent, nous amène parfois à des endroits où tout semble se terminer ; nous n’apercevons plus de suite ni d’horizon. Ces points du chemin sont des points d’inflexion. Ce sont des sections du chemin qui se terminent et d’où se déploieront de nouveaux possibles. De nouveaux possibles qui ne demandent qu’à naître et devenir et que nous devons accueillir et construire.
Le vide est un espace liminal ; c’est un lieu de passage. C’est un espace qui nous permet de jeter le pont entre deux mondes. Le vide est un point de départ. Il départage l’avant qui se termine et l’après qui s’annonce.
Lorsque j’ai entrepris le chemin de Compostelle il y a quelques années, j’étais à ce point d’inflexion. Je voyais se dessiner à l’horizon de ma vie la fin d’une étape importante ; mon rôle qui allait se transformer avec l’imminence du départ de la maison de mes enfants qui approchaient l’âge adulte. Cette étape je l’ai ressentie comme un vide qui s’annonçait. Un vide qui, subrepticement, me soufflait dans la langue du silence que je devais maintenant me préparer aux prochaines étapes de ma vie. Un vide qui m’offrait une page blanche pour pouvoir écrire la suite de celle-ci. Un vide qui me sortait de mes habitudes et m’incitait à tracer et reprendre, tel un nomade, la suite de mon chemin.
Ce vide, il fallait d’abord que j’en prenne conscience, puis que je me place dans un état qui me permettrait de l’accueillir et d’en faire l’expérience. Pour moi, le chemin de Compostelle a été un appel du vide. Un appel à faire de l’espace en moi, à me débarrasser du superflu qui m’encombrait, à laisser de côté les bagages du passé et les rôles qui me définissaient pour permettre d’accueillir et tracer la suite de ma vie.
Cette expérience, je l’ai d’abord incarnée physiquement. L’une des premières leçons que l’on apprend sur le chemin de Compostelle est le dépouillement. Partant souvent avec un bagage trop important, le chemin nous apprend à laisser de côté ce qui n’est pas essentiel. Il nous apprend à voyager léger pour rendre possible la progression. Ce dépouillement au niveau physique est la première étape d’un mouvement plus important qui touchera notre être dans sa totalité.
Ce mouvement s’étend, en seconde étape, à notre monde intérieur. Il nous amène à faire la lumière sur les aspects moins connus de nous-mêmes et à nous débarrasser du masque de l’ego. C’est l’étape où nous devenons artistes. D’un bloc brut et par nos mains, la vie nous cisèle et nous fend patiemment pour enlever l’écorce qui nous recouvre et ne laisser en place que l’essentiel. C’est un moment de grande ouverture.
Ce mouvement est un dénuement. Il demande un saut dans le vide pour passer à la prochaine étape. Il demande de quitter le confort du connu et des habitudes pour embrasser l’incertitude et le possible. L’étape du vide nous invite à croire en un possible, à l’espérer et fait naître en nous le courage nécessaire pour son devenir.
Lorsque j’ai complété le chemin de Compostelle, j’ai eu l’impression de le terminer. En réalité, j’ai compris plus tard que le chemin se continuait en force en moi. Chaque pas fait sur le chemin avait laissé une empreinte dans mon monde intérieur. Ces empreintes formaient une piste à partir de laquelle le chemin continuait d’avancer.
La vie est un pèlerinage. Comme les papillons monarques, nous sommes tous des nomades qui, à travers les générations, entreprenons un long voyage pour retrouver la source et nous en nourrir. Chaque pas que nous faisons dans sa direction est essentiel pour franchir la distance.
Au départ de Puy-en-Velay en France, le chemin de Compostelle annonce plus de 1500 km de marche à parcourir avant d’atteindre sa destination en Espagne. Ce chiffre peut faire peur et décourager. Pourtant, il se réalise par un seul et unique geste ; prendre le prochain pas. Ce que le chemin de Compostelle nous apprend, c’est que chaque pas compte, car chaque pas construit notre chemin. À l’image du mystère derrière la création de l’univers, le chemin nous apprend que l’immense naît toujours de l’infime.